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04 avril 2014

L’esprit de la Maçonnerie ‘‘Moderne’’ embrase la société française

Extrait du Rite Français, tome III, Hervé Vigier, éditions Télètes.

Lorsque le 24 juin 1717 quatre Loges se réunissent à la taverne L’Oie et le Gril de Londres, pour fonder la première Grande Loge, à laquelle on donnera plus tard le nom de Grande Loge des Modernes, il ne s’agit pas de la totalité des Loges londoniennes ni des débuts de la Maçonnerie non opérative. Il s’agit d’une ‘‘rupture’’ par rapport aux usages.

A ce stade, pourtant rien que de très normal : dans une salle qui n’existe plus mais dont les archives permettent d’affirmer qu’elle ne pouvait permettre de réunir plus de vingt personnes, les représentants de quatre Loges londoniennes décident d’unir leurs effectifs, au demeurant très ténus pour trois d’entre elles, afin de constituer une Loge un peu grande.

Quoi de plus normal, dans ce milieu d’entraide fraternelle et charitable, que de s’épauler ? Aucune autre intention particulière ne surgit de ces prémices. Aucune archive n’est conservée durant ces premières années, qui laisserait entrevoir une réelle volonté d’organisation et une ambition de développement. Nous sommes dans la continuation des œuvres de secours mutuels, conservées des anciennes confréries, et bien nécessaires dans les milieux artisans, commerçants, ouvriers.

D’ailleurs de tels secours seront effectivement distribués, y compris à Anthony Sayer, premier Grand Maître, qui sollicitera la Grande Loge en 1730. Illustration de l’origine sociale modeste des premiers fondateurs.

 

Loges et Grandes Loges, à l’origine le régime traditionnel est celui de l’indépendance des Loges

Quelques assemblées de ‘‘Grande Loge’’ avaient déjà occasionnellement rassemblé sporadiquement plusieurs Loges existantes mais de manière ponctuelle, dans l’objet de régler des conflits entre elles ou entre leurs membres.

Avant et après la première Grande Loge, il y a un ensemble de Loges indépendantes connues à travers le nom de la taverne où se réunissent ses membres. Là réside indiscutablement l’origine traditionnelle de l’Ordre : « Les Loges agissaient tout à fait indépendamment les unes des autres et ne reconnaissaient pas d’autre autorité que celle du Maître en exercice », selon un commentateur privilégié, Henry Sadler, Bibliothécaire adjoint de la Grande Loge Unie d’Angleterre.

Celui-ci poursuit : « Quand une Loge devenait trop nombreuse pour le bien de ses membres, il s’agissait de choisir un autre local et de fonder une nouvelle Loge pour son propre compte, sans se préoccuper d’autorisation, de règlement, de cérémonie de consécration ni de tout ce grand cérémonial considéré aujourd’hui comme essentiel pour l’installation d’une nouvelle Loge. Il n’y avait pas de cotisation régulière ; chaque membre versait une petite somme pour couvrir les frais de la soirée, avec quelque chose de plus au bénéfice du malade et du malheureux… »

A la fondation de la Grande Loge des Modernes, les Loges particulières ne versent aucune cotisation. La Grande Loge se réunit pour des communications trimestrielles dont l’organisation et les frais sont à la charge du Grand Maître… La seule caisse qui est créée en 1724 et commence à fonctionner en 1729, est destinée à « secourir les Frères nécessiteux ».

Concernant les Règlements Généraux, une question préalable intéressante est posée le 24 juin 1723, visant à savoir si leur approbation devait être conditionnée à la clause restrictive suivante : « pour autant qu’ils soient conformes aux Anciennes Règles de la Maçonnerie ». Vote sanctionné par l’affirmative et renforcé par une motion complémentaire également adoptée et précisant « qu’il ne serait au pouvoir d’aucune personne ou groupe de personnes d’apporter, sans le consentement préalable de la Grande Loge annuelle, quelque altération ou innovation que ce soit dans le corps de la Maçonnerie ».

C’est cette référence à la tradition qui constitue le fondement d’un Ordre. La Franc-Maçonnerie veut se garder, dès ses premières Constitutions, de fluctuer au grès de la volonté de ses administrateurs ou de ses assemblées. Comme l’écrira plus tard Jean Baylot, « l’Ordre ne totalise pas les volitions du moment, il n’élabore pas de synthèse. Il est là pour épanouir et libérer, non pour associer et contraindre.»

Revenons aux fondateurs de la Maçonnerie moderne ? Qui constitue cette assemblée de Grande Loge ? La réponse figure au procès-verbal de la réunion du 25 novembre 1723 : « Les Vénérables et Surveillants des diverses Loges ». Ils désignent le Grand Maître pour une année. Ils l’autorisent à désigner son Député. Ils désignent eux-mêmes les Grands Surveillants.

 

Quelles Loges peuvent être représentées ? Celles qui souhaitent « simplement être enregistrées au livre de la Grande Loge, et placées sous sa garde et le patronage de cette dernière ». Donc des Loges préexistantes et considérées comme parfaitement régulières, conservant leur complète autonomie de gestion, désireuses de participer aux assemblées de Grande Loge.

 

Les Maçons et les Loges de saint Jean

Les feuilles de présence de cette époque nous renseignent sur les différentes qualités des participants à une tenue : les uns mentionnent « initiés de la Loge… », d’autres le nom de l’établissement où leur Loge se réunit, suivi du numéro donné à la Loge par la Grande Loge auprès de laquelle celle-ci s’est affiliée ; d’autres inscrivent après leur nom « saint Jean » ou quand ils sont plusieurs « de la Sainte Loge de saint Jean ».

Le qualificatif de « saint Jean » est donné aux Loges ou Frères indépendants, lesquels sont admis dans les Loges ressortant de la Grande Loge. Gould confirme que cette appellation désigne « une Loge ou un Frère indépendant ».

 

Des Loges indépendantes décident de s’unir pour contrer les entorses à la tradition

Lorsque le 17 juillet 1751 quelques Loges et Frères reprochant aux Modernes leur évolution contraires aux usages, se réunissent à la taverne A La Tête de Turc du quartier de Soho à  Londres, ils fondent la Très Ancienne et Honorable Société des Maçons Libres et Acceptés qui prendra plus tard le nom de Grande Loge des Anciens. Il ne s’agit pas d’une scission de la première Grande Loge mais de nouvelles Loges indépendantes et Frères de saint Jean qui décident de s’assembler pour défendre les usages anciens, qu’ils tiennent souvent de l’Irlande.

Les règles qu’ils se donnent sont essentiellement les suivantes :

-          Réunion de la Grande Loge tous les premiers mercredis de chaque mois.

-          Sont membres tous les Vénérables et Surveillants. En cas d’indisponibilité, un ancien Vénérable peut remplacer l’absent.

-          Sujets à l’ordre du jour : examiner et résoudre les points soulevés par chaque Loge.

-          Présidence : elle est assurée par le Vénérable de la Loge la plus ancienne, puis chacun à tour de rôle, dans l’ordre d’ancienneté des Loges, avec changement à chaque assemblée. Ceci « jusqu’au moment où seront élus un Grand Maître et deux Grands Surveillants ».

-          Secrétariat : un Grand Secrétaire élu dès l’origine.

-          Processus de création de Loges : des Maçons se réunissent dans un ‘‘établissement de bonne réputation’’ pour former Loge. Le moment venu, s’ils le souhaitent, ils déposent une requête qui doit être certifiée par les Vénérables de trois autres Loges, lesquels font leur rapport sur les demandeurs.

-          Du recrutement : « Les honorables membres de cette grande et très utile Société ne pourront jamais prêter trop d’attention au choix de ses membres… à une connaissance parfaite du caractère du candidat et des motifs qui lui font solliciter son initiation aux mystères de la Franc-Maçonnerie. De cela dépend la prospérité ou la ruine de l’Ordre. »

-          1er Grand Maître : « Le Frère Robert Turner, Vénérable de la Loge N° 15, fut proposé et unanimement élu pour occuper la chaire du Grand Maître pendant six mois »…

 

Au terme de ce nouvel éclairage sur la tradition maçonnique anglaise, on peut relever :

 -          Que les Loges de saint Jean sont des Loges souveraines qui constituent le fondement de la confrérie ;

-          Que certaines d’entre elles décidèrent à différentes périodes de former une Grande Loge dont le fonctionnement initial était éminemment souple et démocratique ;

-          Que la base de la Fraternité restait avant tout le Maçon et la Loge, lesquels conféraient provisoirement à certains Frères qu’ils élisaient, des tâches destinées à assurer le bien-être de tous ;

-          Que l’appartenance à une Grande Loge n’a jamais abrogé la souveraineté de la Loge dans son administration ;

-          Que la constitution d’une nouvelle Loge a toujours été libre, choix restant à ses fondateurs de souhaiter adhérer à une Grande Loge, et à l’obédience sollicitée d’accepter ou de récuser cette proposition ;

-          Que le choix des candidats a toujours été considéré comme nécessitant beaucoup de soins et une parfaite unanimité ;

-          Que les visiteurs ont toujours été accueillis dans toutes les Loges, s’ils répondaient aux questions du tuilage et aux critères d’homme libre et de bonne réputation ;

-          Que le montant des cotisations a toujours été limité à des frais de fonctionnement minimum et à des actions de bienfaisance ;

 

La Maçonnerie française, assise sur les Loges, redonne vie à la Tradition

 Certes Louis de Bourbon-Condé, prince du sang, comte de Clermont, est Grand Maître de la jeune et turbulente Maçonnerie française depuis 1743, succédant au duc d’Antin. Cependant il délègue à un substitut les pouvoirs très protocolaires qu’il détient en tant que ‘‘Président de la Grande Loge des Maîtres de l’Orient de Paris dite de France’’.

Dans la période 1760 – 1762, ce sont quatre-vingt-cinq Loges qui voient le jour en France, dont la moitié hors la structure du comte de Clermont. Une lettre de Jean-Baptiste Willermoz, en date du 4 mars 1761, atteste de cet état de fait sur l’ensemble de la France : « Le Royaume est rempli de Loges constituées les unes par les autres, qui se sont cru de tout temps en droit de le faire ; depuis que la Maçonnerie est introduite en France, elles ont joui de ce privilège, et il n’y a rien de plus commun que de trouver des Loges constituées par de plus anciennes, qui l’avaient été de même par d’autres reconnues pour très régulières longtemps même avant que l’on connut la Grande Loge de Paris. »

 En 1767 et jusqu’à la mort de Clermont en 1771, la Grande Loge devra même suspendre ses travaux, ‘‘sur ordre des autorités’’, sans que les Loges n’en soient affectées, qui elles poursuivent de plus belle leur développement et celui de cérémonies qui cherchent à unir la sensibilité de chacun de leurs  membres, au sein d’un même élan spirituel. Démarche d’un Esprit unificateur qui dépasse chaque rouage et chaque volonté, pour affirmer la primauté de la science inspirée sur les rouages mécaniques et rigoristes des lois. Don d’un grand siècle, auquel l’Histoire rendit hommage, en lui donnant pour nom celui de siècle des lumières.

 

La France, berceau de l’ésotérisme maçonnique

 Certes bien des extravagances et des excès peuvent être condamnés durant cette période mais de cet espace de liberté va aussi naître une profonde recherche pour remplacer l’autorité temporelle qui s’est évanouie, et l’autorité spirituelle qui a étalé depuis des siècles sa faillite, par la lumière que pourrait apporter, à travers une recherche initiatique, des grades de Sagesse conçus comme véhicules de la découverte progressive de l’art, de la science et de la spiritualité, dont l’union fondent l’ordre et l’harmonie, du monde.

Dès lors un dépôt précieux inonde de nombreuses cérémonies, qui sont indéniablement le fruit d’apports culturels et philosophiques multiples. On y trouve le rejet de tout ce qui divise ou contraint, le respect de tout le patrimoine de l’humanité dans sa recherche de comprendre la création et les lois physiques et métaphysiques qui régissent l’homme et l’univers. On y trouve surtout le respect des origines et du cheminement de chacun, dans la perspective développée par saint Paul, qui prête ces paroles au Créateur : « Je mettrai mes lois dans leurs cœurs et je les écrirai dans leurs entendements. »

 L’Art Royal constitue ainsi la voie qui rejette les vaines querelles et les doctrines qui génèrent les chocs Autel contre Autel ; il ouvre les esprits vers un retour aux relations primordiales entre le Créateur, la Nature au sein de laquelle Il a déposé la marque de son Œuvre, et l’Homme auquel Il laisse la liberté de se détourner pour cultiver son ego, ou de devenir parcelle de Lumière en renonçant à lui-même, pour rejoindre la ‘‘Grande Ame incandescente’’, selon les termes de l’initiation horienne, au passage de la douzième porte.

 Là où les siècles précédents et les siècles suivants apportent l’image de la division des hommes à travers les nationalités, les cultures et les clochers, la Maçonnerie française apporte sa conviction que l’union de tous et le bonheur pour chacun, sont possibles, par la connaissance des lois véritables de notre nature, seule capable d’engendrer un idéal de Sagesse commun à toute l’humanité.

Echappant à tout dogmatisme, les rédacteurs du chef d’œuvre architectural qui deviendra Le Rite Français ou Moderne, invitent les Frères à un cheminement dont chaque étape est le fruit du travail des Loges et des Chapitres, et d’aucun gourou, guide spirituel ou Maître à penser. Là est sa marque et son secret.

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