09 juillet 2014
L’INITIATION MASCULINE, FEMININE, OU MIXTE ?
Pour y voir plus clair, référons-nous d’abord à l’évolution des cultures. Avec une première indication, en apprenant que la civilisation pré-indo-européenne « était une société équilibrée, où les femmes n’étaient pas vraiment si puissantes, qu’elles auraient usurpé tout ce qui était masculin » mais qu’on avait un équilibre qui était « reflété dans les symboles où vous trouverez non seulement des déesses mais également des dieux… Il y a un équilibre entre les sexes partout, dans la religion et dans la vie. » Ce constat n’est pas lancé au hasard, c’est le fruit de quinze années de fouille de Marija Gimbutas, docteur en archéologie et culture indo-européenne de l’université de Tübingen, chercheur à Harvard, sur la période allant du paléolithique supérieur (- 35 000) aux années 3 000 Av. JC.
Cette longue période de philosophie pacifique, où « probablement les hommes et les femmes étaient tout à fait égaux », fut aussi sans guerre. « C’est important, parce que la plupart des personnes au 20e siècle pensent que les guerres ont toujours eu lieu ». Dans une interview remontant à 1993, Marija Gimbutas, aujourd’hui décédée, confie : « Nous avons besoin de quelque chose que nous pouvons toucher, nous avons besoin de la compassion, d’un certain amour et également d’un retour à la nature des choses, … la déesse c’est exactement cela. La déesse est la nature elle-même. Ainsi je pense que cela devrait revenir au sein de l’humanité. »
La culture indo-européenne arrive progressivement avec au départ trois dieux principaux : le dieu du ciel brillant, le dieu des enfers et le dieu du tonnerre. Tous trois bien entendu masculins et guerriers. Les déesses féminines sont toutes de jeunes filles ou de jeunes mariées, sans pouvoir ni créativité. La structure social indo-européenne est patriarcale, patrilinéaire, et la psyché est guerrière. Rapidement Dyaus-Pitor s’impose comme maître des dieux ; il deviendra plus tard Jupiter puis Dieu le Père. Dans le domaine de la pensée, mêmes les philosophes grecs ne remettent pas en cause le principe du sexe dominateur, tel Platon recommandant dans le Timée : « Les hommes qui veulent être féconds selon le corps doivent se tourner vers les femmes, quand ceux qui veulent être féconds selon l’âme doivent se tourner vers les garçons. »
Jésus réhabilite largement la femme, en montrant qu’elle a la même place que tout être humain, de sexe masculin ou féminin. Sa mère n’est pas la Vierge que l’Eglise en fera plus tard ; elle est en hébreu « ha alma », la femme qui engendre, non « bétoula » la vierge. Saint Paul, qui utilise le grec hors de Jérusalem, parlera d’elle en utilisant le terme de « guné », l’épouse, non celui de « parthénos », la vierge. Ce n’est qu’ultérieurement, avec de nouvelles traductions et le refus d’un judéo-christianisme pluriel, qu’apparaitra la virginité et le dogme de l’incarnation. En faisant de la Vierge une femme d’exception, le christianisme rentre dans le moule social dominant du patriarcat ! On se rappellera alors qu’Eve a été créée à partir d’une côte d’Adam, et que c’est elle qui a fait entrer dans son esprit la tentation…
Les Anciens Devoirs n’envisagent pas le « Métier » pour les femmes mais ils sont aussi restrictifs quant aux hommes qui peuvent être admis. Le manuscrit Grande Loge N° 1, daté de 1583, enseigne qu’Edwin, fils du roi Athelstan, proclama qu’on lirait à chaque réception d’un nouveau Maçon les Devoirs que chacun se devait de respecter. Parmi ceux-ci étaient mentionnées les conditions nécessaires pour être pris comme Apprenti : il fallait qu’il soit né « libre et de bonne ascendance, qu’il soit honnête et qu’il ne soit pas serf ; aussi qu’il ait tous ses membres sains, comme un homme doit les avoir. »
Plus tard, la Grande Loge de Londres adoptera les Constitutions d’Anderson (1723), qui ne font pas rentrer les femmes dans la gens « initiable » en Maçonnerie : « Les personnes admises, membres d’une Loge, doivent être hommes de bien et loyaux, nés libres et d’âge mûr et discret, ni esclaves, ni femmes, ni hommes immoraux et scandaleux, mais de bonne réputation ». En France, Les Devoirs enjoints aux Maçons libres, qui en sont le pendant, adoptent les mêmes principes ; ce qui n’a rien d’étrange, puisque les femmes sont légalement mineures, et que ce n’est qu’en 1945 qu’elles pourront voter pour la première fois. Cependant elles sont très vite conviées aux réceptions et banquets qui suivent de brèves cérémonies. Elles participent aux fêtes de la saint Jean et cérémonies de deuil. Enfin dès 1740, la Maçonnerie d’adoption, dite aussi Maçonnerie des dames, leur permettra d’accéder à un corps complet en trois grades, différent de celui réservé aux Frères.
Dans ce cadre mixte, l’Apprentisse découvre l’arche de Noé flottant sur les eaux, la tour de Babel et l’échelle de Jacob. La Sœur Compagnonne accède au jardin d’Eden, d’où Adam et Eve furent chassés, et à l’Arbre de vie ou de la source du Bien et du Mal. Enfin la Sœur Maitresse retrouve l’échelle de Jacob, la tour de Babel et l’arche de Noé, et découvre l’arc en ciel, le sacrifice d’Abraham, l’embrasement de Sodome, le sommeil de Jacob, la femme de Loth changée en statut de sel, le soleil, la lune, les étoiles et les quatre parties du monde.
Ce cadre d’ouverture relève des Frères et ne s’adresse qu’aux dames de la haute société. En revanche le Régulateur du Maçon (1785) pose des préalables relatifs aux hommes mêmes, dans lesquels on lit « qu’un domestique, quel qu’il soit, ne sera admis qu’au titre de F. Servant », plus loin que « rarement on admettra un artisan, fut-il maître », enfin que « jamais on n’admettra les ouvriers dénommés compagnons dans les arts et métiers ».
Le 19e siècle ira dans le sens d’une plus large ouverture aux hommes mais fermera la porte aux femmes. Le 20e siècle verra se répandre une Maçonnerie féminine et mixte, en nombre limité, sur la base des mêmes rituels cette fois, mais néanmoins souvent maladroite. La Maçonnerie mixte étant, selon les propos d’Anouk Leven, téléguidée par les Frères : « Aujourd’hui la généralisation de la mixité fait reculer la parole des femmes et réinstalle une prise en main de la sphère initiatique par le masculin ». La Maçonnerie féminine étant par ailleurs, au niveau de sa direction, largement composée de Sœurs féministes qui souhaitent mettre en avant leur révolution contre la domination masculine. C’est ainsi que Bérangère Kelly voit comme préalables logiques, le mouvement des femmes Saint Simoniennes (1825 – 1832), Virginia Woolf (1938) puis le MLF (1970).
Le 21e siècle parait se rendre plus largement compte, qu’il n’y a pas de bataille à gagner mais un avenir à écrire à deux mains. L’une masculine, l’autre féminine. Qu’il y a des sensibilités complémentaires à exprimer, ensemble ou séparément. Que prétendre guider vers l’universel, ne peut consister à mettre d’emblée entre parenthèse, ni les hommes victimes d’une infirmité, ni les femmes du seul fait de leur sexe, soit plus d’une moitié de l’humanité. La décision de l’ALS, de laisser chaque Loge déterminer son choix, paraît bien correspondre à un mouvement de réflexion et de liberté de décision, qui se dessine, et que la Maçonnerie française a souvent accompagné.
Il lui faudra encore un peu de temps, au niveau de la féminité en Maçonnerie, pour ne constituer ni une réaction ni une obligation, mais un comportement maçonnique et humain naturel. Nous souhaitons que l’ALS y contribue.
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