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08 mars 2014

LA POSITION DES COLONNES AU RITE FRANCAIS

Tous les rites que nous pratiquons font place à deux colonnes placées symboliquement à l'intérieur, à droite et à gauche de l'entrée ; l'une porte la lettre J, 1'autre la lettre B.

Au delà de cette harmonie, une première dissonance apparaît, qui voit les rites modernes positionner la colonne J à gauche tandis que les rites anciens placent à gauche la colonne B.

Attachons nous tout d'abord à comprendre l'origine de ces colonnes.

Dans les documents maçonniques les plus anciens apparaissent une colonne en brique et une colonne en marbre, érigées par les fils de LAMETH pour y inscrire les arts et les sciences qu'ils avaient découverts, afin de les protéger du déluge.

Flavius JOSEPH écrit dans les "Antiquités judaïques" : "Parce qu'ils avaient appris d'Adam que le monde périrait par l'eau et par le feu... ils bâtirent deux colonnes, l'une de brique, l'autre de pierre, sur lesquelles ils gravèrent les connaissances qu'ils avaient acquises".

Le manuscrit COOKE, daté d'environ 1410, reprend la même idée : "Ayant appris que Dieu voulait se venger du péché par le feu ou par l’eau, ils s'efforcèrent de sauver les sciences qu'ils avaient inventées et se dirent qu'il existait une pierre qui résistait au feu qui s'appelait « Marbre » et une autre qui flottait sur l'eau qu'on appelait "lacerus" ...

 

David STEVENSON, dans « Les origines de la Franc-Maçonnerie » indique à ce sujet : « Les deux colonnes des anciens devoirs représentent les colonnes sur lesquelles la connaissance vitale pour l'avenir de l’espèce humaine fut gravée ... Les légendes sur de telles colonnes sont originaires du moyen orient, elles représentaient une variante de l'idée d'une connaissance de valeurs issues du passé ».

 

Ce premier symbolisme des colonnes tombe peu à peu en désuétude à partir des années 1725, du fait de l'importance prise par le développement du 3ème grade et la symbolique de l'édification du Temple de Salomon.

La transition se constate dans la lecture du manuscrit DUMFRIES N° 4 (environ 1710), où l'on trouve à la fois une version simplifiée du récit originel et des explications détaillées sur les colonnes du Temple que SALOMON fit construire à Jérusalem.

Le Rite Français conserve en partie la trace de la première légende, au travers du mot

de passe d'Apprenti « TUBALCAIN », présenté dans l'instruction            du premier grade comme le nom de celui des fils de LAMETH qui inventa l'art de travailler les métaux.

 

Au delà de cette référence à la symbolique d'origine, la présentation faite du tableau de Loge à tout nouvel Apprenti, indique clairement l'importance prise par le Temple de Jérusalem : "Vous voyez l'entrée du Temple que Salomon fit élever à Jérusalem à la gloire

du Grand Architecte de l’Univers, c'est lors de la construction de cet édifice fameux que, selon la tradition, la Franc-Maçonnerie reçut l'organisation qui est encore la sienne aujourd’hui... Vous voyez que l'entrée est précédée de deux colonnes et que celle du septentrion porte la lettre J, lettre initiale du mot sacré qui vient de vous être communiqué".

 

Ce rapprochement entre colonne et mot sacré nous amène à étudier l'origine de ces mots.

II convient de se rappeler qu'alors la Maçonnerie ne comportait que deux grades et que celui qui était dénommé « Maître » était le Maître de la Loge, c’est à dire le Vénérable. Le mot sacré était à la fois J et B qui ne constituait qu'un mot du premier grade dont l'un était la réponse à l'autre.

Le manuscrit KEVAN indique : "Le mot est dans Roi, I - 7 - 21 dernier verset. Tout le verset et spécialement J et B." Le traité de Robert KIRK précise : « Le mot du Maçon est comme une tradition rabbinique en matière de commentaires sur J ET B, les deux colonnes élevées dans le temple de Salomon. »

Les deux documents précités montrent l'unité du mot comprenant J et B. Le manuscrit SLOANE précise la façon dont il était donné : Question - Quel est votre nom ? Réponse : - J ou B.

De même « A Mason's examination » de 1723 comporte la question : "Je suppose que vous avez été Apprenti" et la réponse : "J'ai vu J et B ".

 

« The Whole Institutions of free masons opened » poursuit dans le même esprit : « Je vous salue bien Frères, j'ai grand désir de connaître votre nom. Réponse : « J et l'autre doit dire que le sien est B ».

 

Toutefois avec l'apparition du grade de Maître, les rites ont éclaté J et B en  deux mots sacrés distincts, affectés l'un au premier grade, l'autre au second, et l'ont lié à l'une et l'autre des colonnes. Comment cette ventilation s'est elle opérée ? A partir de quelle symbolique ?

Différentes hypothèses ont été évoquées. Nous repren­drons d'abord celle qui a le plus longtemps été retenue comme la clé explicative de la position inverse des colonnes entre les différents rites. Cette explication part du postulat que l'éclatement du mot J et B dont l'un répondait à l'autre en deux mots distincts, a amené B à être le mot d'Apprenti et J à être celui de Compagnon.

Une divulgation de 1727, "A masons confession", indique en effet : "Concernant le mot, ils disent que B est le mot du Maçon et J un mot de Compagnon. Le premier est montré à un Apprenti lorsqu'il a prêté serment, le second est montré à celui qui a été Apprenti au moins pendant un an, quand il est admis à un degré supérieur dans leur Loge, après qu'il a prêté serment à nouveau".

De là, la colonne des Apprentis située au nord aurait ainsi pris le nom de B alors que

celle des Compagnons prenait la lettre J. A partir de cette position qui aurait été celle, à ses débuts, de la Grande Loge de Londres, une inversion aurait été volontairement produite du fait des désordres qui intervinrent dans les années 1730-1740, et amenèrent des imposteurs, ayant eu connaissance des mots, à s'introduire dans les assemblées maçonniques.

Une décision aurait amené, afin de les piéger, cette inversion, suite à des plaintes réclamant la fin des désordres constatés. La dernière version des constitutions d'ANDERSON rapporte en effet que "quelques variations furent faites dans les formes établies" afin de mettre un terme aux abus constatés.

La France, dont la jeune maçonnerie était très liée à la Grande Loge des Modernes, aurait ainsi suivi le mouvement d'inversion en 1740. Tel est, en tout état de cause, la disposition dans la première divulgation française de 1742 de l'abbé PERAU "le secret des Francs-maçons", qui positionne bien la colonne J côté Apprentis et la colonne B côté Compagnons au midi.

Les tenants de cette hypothèse expliquent qu'ensuite la Grande loge des Modernes se rapprochant de sa rivale, la Grande Loge des Anciens, avait, déjà avant l'Act Of Union, rétabli la position originelle, mais que, du fait du blocus, la France n'en aurait pas eu connaissance ou qu'encore, du fait de l'antinomie profonde entre l'Angleterre et la France, le Grand Orient n`aurait pas souhaité suivre les mouvements britanniques, peu prisés au plus fort des guerres napoléoniennes.

Face à cette explication qui connut ses heures de gloire mais parait actuellement rejetée par l'ensemble des historiens sérieux de la maçonnerie, l'explication qui émerge à l'issue d'un ensemble de recherches, est d'ordre symbolique. La différence entre les rites, vient d'une mise en œuvre différente des symboles, dans une cohérence propre.

L'origine symbolique de la colonne se trouve dans l'arbre qui, par ses racines souterraines, son tronc et ses branches qui s'élèvent vers le ciel, symbolise le lien entre ciel et terre. La prestance des grands arbres, leur robustesse, leur âge séculaire, la renaissance de leur feuillage à l'issue de chaque hiver, ont marqué l'antiquité qui attacha à leur majesté quelques sites.

Ainsi à l'origine d'une géographie sacrée, ils évoquent comme le chêne de Saint Louis, l'endroit où l'on vient chercher justice, protection et communication.

Avec les débuts de l’art de bâtir, la colonne a pris le pas sur l'arbre mais dans une

position identique, c'est à dire que cette colonne était unique et n'intervenait pas pour soutenir quelque édifice ou même sculpture que ce soit. C'est dans cet esprit que des obélisques étaient dressées devant les Temples égyptiens et que deux colonnes furent dressées à l'entrée du Temple de Salomon, côté extérieur, afin de marquer l'axe de communication entre humain et divin - divin et humain.

Située dans ce contexte symbolique, la position des colonnes, telle qu'elle est fixée pour les rites modernes, parait tout à fait conforme. Les travaux symboliques s'effectuent "en Loge" qui est la première phrase prononcée par le Vénérable à l'ouverture des travaux du premier grade du Rite Français.

Le temple est à l'extérieur. C'est en fait l'humanité entière, conformément à l’article 4 de la règle en douze points de la Franc-Maçonnerie, qui constitue le Temple et son chantier. « La  Franc-Maçonnerie vise par le perfectionnement moral de ses membres, à celui de l'humanité toute entière. »

La colonne J, à l'intérieur de la Loge et à droite, la colonne B à gauche, sont conformes à la position biblique : A l'extérieur du temple, à droite pour J, à gauche pour B. Livre des rois : "Il dressa les colonnes aux portes du Temple, il dressa la colonne de droite et la nomma J, puis il dressa la colonne de gauche et la nomma B".

Certes, sur le plan archéologique, il est faux de dire, comme le fait l'instruction du Rite Français au grade d’Apprenti, que la colonne J était placée au septentrion du Temple de Salomon. Elle était à droite et donc au midi. En effet les Temples de l'antiquité étaient orientés vers l'Est, le saint des Saints se situant à l'Ouest alors que nos Loges ont leur ouverture à l'Ouest et placent le Vénérable à l’Est. Mais dans le Rite Français, du coté Nord on trouve à l'Orient la Lune, sur le plateau du second Surveillant la sphère céleste, la colonne où siègent les Apprentis qui ne supportent qu'une faible lumière et travaillent en force à dégrossir la pierre brute ; c'est bien la colonne J qui en est le complément symbolique normal.

A l'inverse sur la colonne du midi, nous trouvons le soleil, la sphère terrestre et les Compagnons à la recherche de leur chef d’œuvre. La colonne B s'y place tout naturellement, si nous relisons la divulgation de 1725 « The Wolhe Institution of free masons opened » : "J signifie force et B beau ".

Le manuscrit GRAHAM- MS de 1726 confirme au sujet des mots sacrés : « Leur nom signifie FORCE et leur réponse BEAUTE. »

La conformité de cette position avec le Temple de Jérusalem ressort des écrits de

PINHAS BEN YA'IR, Talmudiste du 2ème siècle après Jésus Christ qui, établissant une série

de correspondances entre les parties du Temple et différents éléments de l'univers, met en rapport avec la colonne J la lune dont le rôle est d'établir le calendrier et les fêtes,

et qui attribue à B le soleil qui jaillit sur le monde plein de puissance, révélant la beauté du monde.

La place de l'Apprenti, dont il est dit dans le rituel du 2ème grade qu'il a travaillé à

l'extérieur du Temple et s'est exercé à dégrossir la pierre brute, est bien au pied de la colonne J. La place du Compagnon auquel ce même rituel indique "c'est au travail de l'esprit que vous devez désormais vous livrer", trouve naturellement sa place prés de la colonne B.

 

Si l'on se rappelle la première origine de la présence des colonnes, présentées comme

connaissance de valeurs issues du passé et transmises à l'homme, la lecture des Anciens Devoirs éclairera plus encore sur le symbolisme auquel s'attache le Rite Français par rapport à J et B.

Le DUMFRIES No 4 de 1710 indique : "Ces deux noms semblent désigner les deux Eglises des juifs et des gentils. Celle des juifs par J,  celle des gentils par B. The Whole institution of masony, déjà cité, précise en 1724 "J signifie force et B beau, et se rapportent aux deux fils d'Abraham, l'un de la femme libre et l'autre de l'esclave, et aussi aux deux Alliances, une des oeuvres et une de libre grâce".

Ce dernier extrait fait immédiatement penser aux propos de Paul dans aux Galates : " Il est écrit qu'Abraham eut deux fils, un de l'esclave et un de la femme libre. Celui de l'esclave fut l'enfant de la chair, celui de la femme libre l'enfant de la promesse. Tout cela est allégorique car ces femmes sont les deux Alliances".

La gravure célèbre d’Alexander SLADE (1754), "un maçon formé à l'aide des objets de sa Loge", comporte un élément qui prouve que l'éclairage des citations précédentes était

bien celui qui était perçu à cette époque, car il place au bas de l'une des colonnes, la date de 1754, et au bas de l'autre celle de 5754, illustrant bien l'Ancien et le Nouveau Testament qui constituent la clé de nos travaux.

L'Apprenti commence donc par la colonne J qui figure l'Ancien Testament et la force brutale de YAHWEH. Il est dans l'obscurité et entreprend la marche du fils de l'esclave.

Le jour venu, après avoir dégrossi la pierre brute, il rejoindra la lumière de la Nouvelle Alliance et la marche du fils de la femme libre. Il contemplera la pierre cubique à pointe et recevra son salaire au prés de la colonne B, initiale de BOOZ, bisaïeul de DAVID et grand père de JESSE, dont ISAIE, annonçant le Messie, disait : " Il sortira un rejeton du tronc de JESSE et une fleur naîtra de ses racines."

Nous renverrons enfin les curieux au musée de la Grande Loge Unie d'Angleterre, où ils pourront admirer un tablier du 18ème siècle prouvant bien que la symbolique d'origine du rite moderne est bien celle pratiquée au sein du Rite Français. On y distingue très nettement un fil à plomb tenu par une main entourée de nuages, associé à la sphère céleste alors qu'un niveau apparaît également mais associé à la sphère terrestre.

Place des surveillants, place des symboles, place des colonnes, réalité de la Loge et conception du Temple, ne sont donc pas dues à des avatars historiques mais bien au profile d’un rite parfaitement cohérent, héritier de la Grande Loge Anglaise des Modernes.

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